Crêpes ou galettes ?
En Bretagne, un débat sans fin anime régulièrement les repas entre amis·es ou en famille, « On dit des crêpes ou des galettes ? » Pour parler de la recette que je vais présenter dans cet article. Je vais vous résumer le contexte historique dans lequel est apparu un tel débat et les raisons qui le sous-tendent. Avant que le français s’impose en Basse-Bretagne au cours du XXe siècle, on employait le mot krampouezh (prononcé krampouz dans mon Trégor natal) pour désigner ce met si délicieux. Traditionnellement, nos arrières-grands-mères les préparaient sur une plaque en fonte, sans bords, posée sur un trépied et il fallait alimenter un feu de bois pour la chauffer. Le tout, en général, installé dans le foyer de la maison. Le diamètre de ces krampouz était important, en moyenne 45 cm. Les crêpes les plus appréciées étaient (et sont toujours !) les plus fines et les plus grandes. Cependant, en Haute-Bretagne, on préparait les galettes, plus épaisses que les crêpes et de diamètre plus petit, dans une galetière (en français) ou galetoire (en gallo), une sorte de poêle avec des bords pour éviter que la pâte ne puisse sortir.
On voit bien jusqu’ici qu’il ne s’agit pas de la même chose. Oui, mais peu à peu la langue française s’est imposée et les coutumes de la Haute-Bretagne ont migré vers l’ouest, la Basse-Bretagne. C’est alors que le mot galette s’est imposé pour désigner les krampouz ou crêpes de sarrasin et que le mot crêpe s’est lui imposé pour désigner celles réalisées à partir de farine de blé tendre (ou froment) avec un ajout d’œufs, de sucre et de lait animal.
À noter que ces crêpes sucrés étaient réservées pour les jours de fêtes ou les occasions particulières, celles du quotidien étaient beaucoup plus basiques, farine + eau + sel et éventuellement un œuf ou du lait.
Qui a raison ? Tout le monde et personne, ce sont surtout des raisons identitaires qui poussent les plus irréductibles (dont je fais partie) à défendre leurs krampouz ed-du ou crêpes de blé noir contre l’invasion de la galette. Mais au fond, l’important, c’est de savoir de quoi on parle, de communiquer avec respect et de ne pas hésiter à tourner le débat à la rigolade plutôt que de s’énerver pour rien.
Une recette à décliner à l’infini !
Ce qui est génial avec les crêpes, c’est qu’il y en a pour tous les goûts et qu’on peut à chaque fois varier les garnitures. En Bretagne, beaucoup de gens raffolent de la galette complète, c’est-à-dire avec un œuf, du jambon et du fromage râpé. Bon d’accord, comme tout le monde en Bretagne ou presque, j’en ai mangé, ou plutôt, on m’en a fait manger des centaines, voir plus. Mais il faut le reconnaître, c’est loin d’être un modèle, du point de vue diététique. C’est en quelque sorte un « shoot » de graisses saturées et de protéines animales. Ce qui est tout à fait critiquable d’un point de vue de la prévention des maladies modernes.
Alors personnellement, depuis que j’ai végétalisé ma vie et mon alimentation, j’ai par la même occasion végétalisée mes crêpes et je m’amuse, à chaque fois que j’en prépare à la maison, à inventer de nouvelles associations. Voici un exemple sur cette photo :
Parmi mes garnitures végétaliennes préférées, il y a : les purées de légumineuses (du type houmous, purée de lentilles, de haricots blancs…), le tofu fumé, le tempeh frit, les pestos (basilic, orties, plantain…), le tartare d’algues, les légumes cuits (poêlés, au wok, à la vapeur…), les crudités… Les possibilités et les combinaisons sont nombreuses, le résultat ne pourra qu’être plus coloré et appétissant que la traditionnelle complète, un peu monotone il faut bien le reconnaître.
De la plus simple à la plus élaborée
Lorsqu’on demande aux anciens·nnes bretons·nnes ce qu’on mettait en garniture dans les crêpes autrefois, ils répondent souvent : « pas grand-chose ! ». Certains·nes les faisaient tremper dans du lait ribot (petit lait fermenté du bas beurre), d’autres les adoraient nature avec un peu de beurre (oui parce que dans l’esprit de beaucoup de Bretons, nature = avec du beurre…) ou encore kraz, c’est-à-dire un peu surcuite pour qu’elle soit bien croustillante.
Ce qui est sûre, c’est que nos ancêtres se contentaient de peu, et pour cause, il n’y avait pas autant le choix quant aux types de garnitures, et ils ne s’en portaient pas plus mal. Prenons exemple sur eux et essayons d’apprécier une bonne crêpe de sarrasin nature (avec ou sans beurre d’ailleurs…).
Ensuite, en étant parti du plus simple, on pourra aller vers des crêpes plus élaborées avec des légumes, des sources de protéines végétales comme les légumineuses, pourquoi pas même nos légumes de mer, les algues, ou encore des plantes sauvages sous forme de pestos ou sauces… Mais sans masquer cette base fabuleuse et irremplaçable que constitue la crêpe de sarrasin !
Le sarrasin : une céréale pas comme les autres
Un autre débat récurrent est celui autour de la classification du sarrasin, dans quelle case mettre cette plante et plus particulièrement ses graines ? On dit de nos jours que le sarrasin n’est pas une céréale, mais une pseudo-céréale du fait qu’elle n’appartient pas à la famille des graminées (aujourd’hui renommée poacées) mais à celle des polygonacées dont font aussi partie la rhubarbe, les oseilles ou les renouées. Mais qu’est-ce qu’une céréale au fait ? Selon la définition de wikipédia, « Les céréales sont des plantes monocotylédones de la famille des poacées (les graminées), sauvages ou cultivées, qui produisent des grains comestibles, utilisés principalement en alimentation humaine, souvent moulus sous forme de farine raffinée ou plus ou moins complète. » Mais dans le même article, il est dit que « Sont des « semences céréales » les graines non « émulsives » (huileuses), de digestion aisée pour l’homme, donc non légumineuses ». Alors selon la définition première, les grains de sarrasin sont des céréales, mais selon les dernières définitions en date, c’est plutôt une pseudo-céréale. Quoi qu’il en soit, le sarrasin est composé en majeur partie de glucides (68%) et de protéines (11%), ce qui la classe au rang des autres céréales comme le riz, le blé ou l’avoine en ce qui concerne sa place dans l’alimentation.
Mais là où le sarrasin tire sa carte du jeu, c’est qu’elle a un profil nutritionnel tout à fait intéressant. Elle contient tout d’abord sensiblement plus de protéines que le blé ou le riz et de plus les acides aminés essentiels de ces protéines sont bien équilibrées, ce qui en fait un apport intéressant de protéines végétales. Les grains de sarrasin sont riches en lysine, un acide aminé essentiel qui fait défaut au blé par exemple. Il est également riche en sels minéraux comme le magnésium et en oligo-éléments comme le fer ou le cuivre.
En macrobiotique, il est dit que le sarrasin est une céréale plus Yang que les autres. Celle qualité Yang signifie qu’elle est plus dense que les autres, qu’elle réchauffe davantage, qu’elle apporte beaucoup d’énergie sur le long terme (sans susciter de pic de glycémie). Les graines de sarrasin et ses dérivés (crêpes, pâtes…) sont donc parfaitement indiquées pour les sportifs, les personnes frileuses, les malades, les personnes sensibles des intestins. Sa consommation est idéale dans les climats tempérés lors des saisons froides ou humides (automne, hiver, printemps frais…). On la consomme traditionnellement dans des régions du monde où il fait des hivers froids et/ou humides, en Russie, en Ukraine, en Chine, au Japon, en Bretagne…
Voici la recette :
Pour environ 20 petites crêpes (23 cm de diamètre) ou 10 grandes (40 cm de diamètre) / Temps de cuisson : 30 minutes / Temps de préparation : 45 minutes / Difficulté : facile
Ingrédients :
- 500 g de farine de sarrasin bio et locale (ou de blé noir, memestra eo, c’est la même chose)
- 1 l d’eau filtrée (ou un peu moins si vous voulez des crêpes plus épaisses = des galettes)
- 8 g de sel de mer (de Guérande ou autre)
Réalisation :
1 – Réalisez la pâte à crêpes en mélangeant dans un grand saladier la farine de sarrasin, la moitié de l’eau et le sel. L’ordre d’incorporation des ingrédients est important. Tout d’abord, pesez la farine puis versez-la dans le saladier. Ensuite, mesurez 1 demi-litre d’eau et si comme moi, vous préférez utiliser du gros sel que du sel fin (le 1ᵉʳ coûte moins cher), mélangez le gros sel avec l’eau jusqu’à ce que les cristaux soient totalement dissouts. Versez alors l’eau salée dans la farine en 2 ou 3 fois, en même temps, mélangez à la main afin de bien intégrer l’eau à la farine. Lorsque vous avez versé le demi-litre, travaillez votre pâte à la main, comme si vous souhaitiez y intégrer de l’air. Lorsque vous avez obtenu une texture homogène et que la pâte fait un joli ruban quand vous en ôtez la main, arrêtez-vous. Recouvrez la pâte d’un cm d’eau issue de l’autre demi-litre pour éviter qu’elle ne sèche, mettez un torchon propre ou une assiette par-dessus le saladier et laisser fermenter la pâte pendant un minimum de 6 à 8 heures à température ambiante. Vous pouvez la laisser fermenter jusqu’à 12 heures, au-delà, veillez à ce qu’elle ne s’acidifie pas trop si la température extérieure est élevée. Si vous avez réalisé la pâte, mais que vous n’avez pas le temps de faire les crêpes le jour même, réservez-la dans un lieu frais ou même au réfrigérateur.
2 – Une fois arrivé au terme de ce temps de fermentation, vous allez rajouter l’autre demi-litre d’eau, moins le petit filet que vous avez utilisé pour recouvrir la pâte auparavant. Il m’arrive parfois d’utiliser un peu moins d’un demi-litre dans cette partie de la recette afin d’obtenir une pâte un peu plus épaisse, moins liquide qu’avec la proportion 1 l d’eau pour 500 g de farine (2 pour 1).
3 – Une fois votre pâte bien diluée et homogène, faites chauffer votre bilig (nom de l’appareil de cuisson en breton) votre galetière, crêpière ou votre poêle à crêpe si c’est tout ce dont vous disposez. Faitez-là bien chauffer avant d’y verser une louchée de pâte et très important : huilez bien votre appareil de cuisson auparavant car le sarrasin a la particularité d’absorber la matière grasse et de facilement coller à la plaque. L’idéal, je trouve, est d’avoir un morceau de tissu, comme un bout de vieux torchon enroulé et attaché avec une ficelle, pour bien répartir l’huile sur la plaque de cuisson et également pour la nettoyer entre deux crêpes.
4 – Choisissez une louche ni trop petite, ni trop grande, dans laquelle vous pourrez y mettre juste la bonne quantité de pâte pour remplir votre poêle. Sinon vous risquez de devoir vous y prendre à plusieurs fois ou bien d’en mettre trop et d’avoir des crêpes trop épaisses. Une fois que vous avez versé la pâte dans la poêle ou le bilig, vous pouvez vous aidez d’une rozell (rateau en breton) pour étaler la pâte sur toute la surface de la poêle ou de la plaque. Si vous n’êtes pas équipé de la rozell, vous pouvez pencher la poêle d’un côté puis de l’autre pour répartir la pâte du mieux que vous pouvez.
5 – Laissez cuire la première face de la crêpe pendant quelques secondes puis décollez-la avec une spatule pour faire cuire la deuxième face, qui n’aura pas besoin de cuire autant que la première. La plupart du temps, les crêpes sont ensuite réchauffées pour les garnir, il est donc essentiel de ne pas les surcuire en les réalisant pour éviter qu’elles ne deviennent ensuite trop sèches et cassantes.
6 – Mettez-les sur une assiette ou une panière à crêpe au fur et à mesure que vous les réaliserez. L’avantage de la panière est que ce bel objet artisanal permet aux crêpes de refroidir plus vite, car si vous faites beaucoup de crêpes, que vous faites un seul grand tas et qu’elle restent chaudes longtemps, elles risquent de ne pas aussi bien se conserver que si elles refroidissent vite.
Astuce pour manger et être à table tous en même temps : j’aime beaucoup les repas de crêpes entre amis·es, mais je ne trouve pas toujours agréable le fait de manger de façon désynchronisé, de ne pas attendre les autres convives pour de pas laisser la crêpe refroidir etc. Alors ce qu’il m’arrive de proposer à mes convives, c’est de mettre directement sur la table une pile de crêpes chaudes, toutes les garnitures chaudes et chacun·e se sert et compose sa crêpe dans son assiette. Cela marche uniquement quand les garnitures ne sont pas à cuire au dernier moment comme pour un oeuf ou du fromage rapé qu’on met habituellement dans les crêpes de blé noir. Mais dans le cadre d’un repas de crêpes de blé noir Végan, on élimine ce problème car il n’y a rien à cuire au dernier moment. Si vous mettez des légumes cuits, du pesto, du houmous, du tofu ou du seitan, vous pouvez le servir directement dans les assiettes avec les crêpes.
Une autre astuce, si vous voulez vraiment cuire vos crêpes avec les garnitures au dernier moment, consiste à placer le bilig (crêpière) directement sur la table où vous mangez, ainsi vous n’aurez pas à faire des allers-retours jusqu’à la cuisine pour faire chauffer les crêpes et la personne qui fait cuire sa crêpe reste dans le même espace que les autres convives et ainsi, la convivialité n’est pas brisé.
7 – Il ne vous reste plus qu’à développer votre imagination culinaire pour expérimenter des garnitures saines, colorés et savoureuses qui vous apporteront de la satisfaction à vous et à votre entourage. Voici un autre exemple de ganiture coloré :
Bon appétit et n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires !